La ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a
choisi de faire d’une certaine clarté des intitulés de
formation un des objectifs majeurs de sa politique. Jouant sur le
nombre de diplômes proposés dans l’ensemble des universités
françaises (nécessairement élevé) et sans jamais prendre en
considération les contenus justifiant éventuellement ces
intitulés, le Ministère a exigé la réduction drastique de ce
nombre jusqu’à imposer une limitation à moins de 40 licences et à
moins de 200 mentions de masters. En outre, ont été supprimées les
déclinaisons spécifiques de chacun de ces diplômes (les
« spécialités ») qui permettaient aux étudiants
d’identifier des formations et des débouchés plus précis. De la
sorte, au nom de deux seuls arguments répétés à l’envi - la
lisibilité pour les étudiants et leurs familles et un
supposé « bon sens » - un bouleversement radical
de l’offre de formation a été mis en œuvre, sans le dire
explicitement.
Or, ce nouveau « choc de simplification » ne concerne pas
seulement une question technique de présentation des formations. De
fait, ce qui est en jeu c’est :
- la survie de certains enseignements
- la remise en cause d’enseignements professionnalisants, nécessairement spécialisés
- la possibilité d’en créer de nouveaux (si une telle nomenclature avait été en vigueur depuis 1968 il n’y aurait jamais eu de formations en genre, géopolitique, psychanalyse ou études européennes par exemple, ni même informatique ou cinéma)
- la capacité des universitaires à penser librement les formations qu’ils dispensent et à en inventer de nouvelles.
Cette simplification aura mécaniquement pour effet de mettre en
concurrence des diplômes qui seront tous normalisés dans leur
affichage, au détriment de la complémentarité et de la coopération
possibles entre des formations inventant chacune leur spécificité.
Du même coup, dans le cadre des communautés d’université qui
sont introduites dans le projet de loi sur l’ESR, on est fondé à
craindre que s’ensuive une « rationalisation » brutale
de la carte des formations, au bénéfice des établissements les
plus puissants et les plus riches, ou de ceux qui imposeront, à
l’image des « grandes » écoles, une sélection à
l’entrée. Pourquoi donc maintenir dans une université une
formation très pointue quand elle sera assurée par une école
voisine, publique ou privée, avec sélection et droits d’inscription
libres ?
Ce qui est encore plus grave c’est que nous ne sommes pas ici face
à une erreur localisée, à une maladresse ministérielle ou à une
simple question de dénominations. La décision d’imposer ces
nomenclatures est parfaitement cohérente avec l’ensemble des
mesures prises depuis plusieurs années, quels que soient les
gouvernements, sur la réforme des premiers cycles notamment (on
pense à l’arrêté licence de juillet 2011), et avec plusieurs des
mesures contenues dans le projet de loi en discussion (instauration
des communautés d’université, remplacement de l’habilitation
par l’accréditation, continuité imposée entre lycée et premiers
cycles, cahier des charges contraignant pour l’organisation des
formations – et dont la nomenclature n’est qu’un aspect).
On ajoutera que pour un quart des universités françaises qui
viennent de remettre leur proposition de nouvelle offre de formation,
la décision ministérielle d’appliquer uniformément dès 2015 sur
l’ensemble du territoire national les nouvelles mesures conduit de
fait à demander aux collègues de jeter à la poubelle deux ans de
travail à peine achevé ! Dans de telles conditions, on peut se
demander qui aura encore à cœur d’être responsable de diplôme.
Après avoir imposé aux universités une « autonomie »
budgétaire, sans moyens adéquats, qui a conduit déjà un quart
d’entre elles à des budgets en déséquilibre, voilà que le
Ministère remet en cause l’autonomie qui est la plus chère aux
universitaires : l’autonomie pédagogique. Nous ne pouvons pas
supporter ce énième mauvais coup contre l’université française.
Le nœud de l’affaire est le projet de loi sur l’Enseignement
Supérieur et la Recherche, qui passera à l’Assemblée nationale à
partir du 22 mai. Bientôt il sera trop tard et l’université ne
proposera plus que des masters formatés et des licences très
génériques, prônant une interdisciplinarité illusoire sans socle
disciplinaire et une professionnalisation abstraite sans analyse des
débouchés possibles.
Nous appelons toutes les universités et tous les universitaires,
tous les chercheurs, tous les techniciens, tous les membres du
personnel administratif à faire barrage, chacun avec les moyens
qu’il jugera bons, à ce projet néfaste.
Texte rédigé le 23 avril 2013 par une réunion des responsables des diplômes, proposé à la signature de l'ensemble des responsables et au vote des conseils.
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